ON NE MEURT QUE 2 FOIS !

L'église de Mazerat dont l'angélus rythmait les travaux dans les vignes et donnera son nom au vignoble.

C'était le dernier jour des Primeurs, je décidais de rencontrer quelques-uns des vignerons dont j'avais goûté les crus la semaine précédente au Château Angélus. J'avais bien remarqué lors de mon périple, l'affluence record des voitures stationnées tout autour de la propriété, même au delà, puisque les vignes alentour, se voyaient subitement envahies. Quand on pénètre la voûte en forme de coque de navire renversée du chai voulu par l'architecte Arnaud Boulain, elle apparaît curieusement rétrécie. 3000 visiteurs, entendons par visiteurs, les cavistes, les négociants, l'ensemble des prescripteurs sont au rendez-vous de Hubert de Boüard et de son cousin Jean-Bernard Grenié. A l’intérieur, l'énergie est palpable, la bonne humeur règne. Au fond un écran, une vidéo défile, où l'on peut voir les acteurs principaux jouer leur propre rôle, entre l’œnologue Emmanuelle Fulchi d'Aligny, le chef de culture, les équipes qui œuvrent sur les coteaux sud d'Angélus,  Hubert de Boüard entre les rangs de vigne.

 

Ce même Hubert me reçoit  au dernier étage dans le fumoir, aux cotés de sa compagne Emmanuelle Ponsan avec qui il forme un couple aux antipodes du bling-bling. "A 7 ans, mon père m'a offert mon premier sécateur !  Hubert de Boüard, millésime 56, se remémore le chemin parcouru. Ça a été très compliqué. Angélus existait avant "Hubert de Boüard", il y avait toute une famille derrière avec ses tensions, ses désaccords en particulier avec mon père."  En 85, après avoir eu Emile Peynaud et Pascal Ribereau Payon comme professeurs, j'effectue mon premier stage à Figeac auprès de Thierry de Manoncourt. Je vais vite appliquer leurs préceptes mais aussi innover. Dans une précédente interview, Hubert de Boüard, avouera avoir toujours été impliqué : "A 16 ans, j'allais sur les bancs des assemblées de l'ODG (appelé autrefois syndicat viticole) quand d'autres partaient en week-end."

D'après une toile de Pierre Lamoureux

La suite, on la connait, une ascension qui n'a rien de fulgurant, lente mais sûre. Angélus passe tous les échelons. En 95, je commence à voyager et je porte la parole de l"appellation et de la propriété familiale, on montre la voie, dès 2005 , je mets en oeuvre toutes les pratiques accumulées (il sera le premier à pratiquer les vendanges vertes) et en 2012, on sent que ça peut arriver, Angélus est un cru constant à la dégustation.
Quand on abordera la question du "Boüard Bashing", il avouera avoir traversé des épreuves pénibles, Angélus, c'est avant tout une propriété familiale et c'est bien une famille que l'on attaque. J'ai les pneus de ma voiture régulièrement crevés, je ne cherche même plus à savoir d'où ça vient. Angélus, il ne faut pas oublier que c'est une famille qui investit, alors que la politique actuelle tue la famille.

Ses 4 enfants, on les retrouve d'ailleurs pour Stéphanie de Boüard à Angélus, "Elle a pris tous les postes sauf le technique", Matthieu qui commence à suivre le chemin de son père en commençant le consulting tout en étant présent à La Fleur de Boüard au côté de sa sœur Coralie qui voyage dans le monde entier pour prêcher un de mes vins préférés et le plus jeune qui termine ses études avant de penser à acquérir un vignoble, le benjamin Quentin et l'entrée en scène de Thierry Grenié, le neveu, il représentera la 8e génération Grénié aux côtés de Stéphanie.

Hubert de Boüard, c'est aussi un consulting, Ici,  de 68 propriétés, aidé en cela de Philippe Nunes,  directeur du vignoble familial de la Fleur de Boüard à Lalande de Pomerol, 68 propriétés dans le monde entier.

Revenant sur le millésime 2014, il le décrira comme constitué sur la douceur, la lenteur grâce à 7 semaines consécutives d'été indien, il le surnommera d'ailleurs "L'Indien" dès cet hiver lors d'un communiqué de presse. Il est pour moi unique, sur une trame très fraîche, due à la maturité lente. (Angélus 2014 exceptionnellement sera d'un assemblage (décidé sur la parfaite maturité des cabernets francs) à moitié merlot/cabernet franc révélant une chair fine et épicée.)

Dégustés la semaine précédente, les vins du consulting révéleront une belle constante de maîtrise du millésime, à droite ou à gauche de la rive. Je vais remarquer une fois de plus que les appellations moins courues réservent des jus mémorables à ce stade. Le Château CarlMagnus à Fronsac, Château Laurence, Bordeaux supérieur, Fieuzal, GCC de Graves et ses cabernets sauvignon, Lamothe Bergeron dans le Haut-Médoc, Siran, à Margaux, le Plus de la Fleur de Boüard à Lalande, triple+, Jean Faure, un miracle de la biodynamie, Pressac aux progrès spectaculaires, Montlabert, ça barde au Château Paradis, tous saint-émilionnais,  un Pomerol enfin équilibré, La Pointe, un Montagne Saint Emilion au jus bien balancé, Rocher-Gardat, l'ensemble des cuvées du château Haut Peyrous du couple Goulard,  dans les Graves et pour finir l'exotisme absolu de Ixsir au Liban cuvée de 6 cépages réunis et GranMonte en Thaïlande et ses 100% syrah de la cuvée "The Orient.

Cette femme m'a frappée. C'était le dernier jour des Primeurs officiels de Bordeaux. Je venais de regoûter des vins qui m'avaient plu lors de des dégustations de la semaine précédente. Son bonheur d'être là, sous la coque renversée du chais d'Angélus, son regard dans la lumière m'ont attirée vers elle comme le ferait un aimant. Elle s'appelle Brigitte Milhade et elle est viticultrice à Lussac Saint Emilion. Son vin, sa cuvée "Emotion" du Château Lyonnat lui colle à la peau, je l'ai donc redécouverte avec elle. Lussac, vous savez, cette appellation mal nommée, "satellite de Saint-Emilion" qui possède des terroirs plus frais, qui réussit avec la rage au ventre de certains à signer quelques merveilles, un 100% merlot parfaitement équilibré, loin d'être l'apanage de ce cépage en 2014.
"Vous savez, j'habite à la campagne, et l'occasion de faire la fête est très rare me dit elle en se réjouissant du repas clôturant cette semaine de rencontres ! " Les Primeurs, c'est ça aussi

Matthieu de Boüard