BOARDING PASS



              Le moment était improbable, tout comme l'été qui commençait quand on ne l'attendait plus. La valise allégée, le désir d'ailleurs, de tout laisser derrière moi après des mois d'espoirs malmenés quand la réalité vous mène au pied du mur, nourrie de déceptions, de couloirs d'hôpitaux, d'inconcevable, d'une lutte permanente pour rester debout, de confusion sentimentale quand vous penser qu'aimer reste le médicament absolu, vessie qui se prend pour une lanterne.
J'ai cumulé les amours, j'ai aimé d'une certaine manière, j'ai surtout aimé que l'on m'aime, j'ai aimé me refléter dans les regards qu'ils portaient sur moi, psyché trompeuse. J'ai toujours été amoureuse de l'amour je crois, avec au fond, une peur panique de l'engagement qui me poussait à enfanter, comme cadeau suprême de mon être tout entier. Mais très vite, l'amour se vouait corps et âmes à ces êtres de chair que j'avais conçus au fond toute seule,  issus d'amour que je savais inassouvi. Ma quête incompréhensible reprenait, invariable, bousculant, parfois ravageant les coeurs. Instabilité était mon maître-mot.

Quand je suis montée ce jour là dans ce boeing, l'atmosphère m'avait parue résolument légère. Au sol, l'envie de laisser Bordeaux grise une fois de trop m'avait fait choisir une destination plus au Nord, avec la chaleur de ma fille qui y vivait. Je savais que je n'aurais pas cette place convoitée, moi qui photographie tout ce qui bouge. J'étais debout retenant les dernières images du tarmac à travers le hublot, sachant qu'il me faudrait l'abandonner rapidement au voyageur chanceux.
Il est arrivé, je me revois debout, l'appareil en main et j'ai vu son regard. Vous savez ces regards qui renferment toute l'intelligence du monde, je sus plus tard que c'était son monde, si secret que j'eus instantanément l'envie de le percer.

J'ai vu cet homme du monde, d'un naturel déconcertant, comprenant immédiatement que cette place côté hublot me revenait et il me l'offrit. Ce jour là, c'est le Monde entier qu'il m'offrit, avec ses frontières qui nous séparent encore aujourd'hui.
Durant ce trajet qui me mènera à Bruxelles, je ne verrai rien des une heure trente minutes que durera le vol. D'ailleurs, j'ai dû regarder à travers ce foutu hublot qu'à l'atterrissage, quand Bruxelles se révéla plus brillante sous le soleil que Bordeaux en 6 mois. Ce jour là, le passager entre nous n'est jamais venu et pourtant le vol affichait complet. Il savait sans doute que j'allais vivre un coup de foudre si foudroyant que je ne l'ai pas analysé de suite.

Je crois que je comprenais instantanément tout ce dont il me laissait entrevoir, tout ce dont il me parlait, lui, l'homme si secret que même encore aujourd'hui je n'en connais que le prénom, Werner, comme un empire souverain. Ce jour là, il me laissa le photographier, ayant voulu voler son image et l'emporter pour toujours. Cette photo est une photo dont vous savez que le sujet vous regarde à travers l'objectif,  si troublante, comme si aucune barrière ne s'était interposée au moment où je le photographiais. Comme si ses pensées trouaient la chambre noire pour mieux me fixer. Je sus ce jour là qu'il m'avait transpercée, mise à nu. Son regard était le plus tendre que je n'ai jamais vu.
Ce jour là, mon chemisier laissait un trou béant au niveau de la poitrine, un bouton défait, je ne le sus que plus tard. Sans doute que ce jour là, mon coeur s'est tellement accéléré, que rien ne pouvait réellement le contenir.

Durant ce vol EZY4109 du 8 août 2016, j'ai appris ce que le mot "coup de foudre" signifie. Une sorte d'accélération de l'espace-temps, qui gomme toutes les frontières, abolissant toutes mes résistances.
Je crois que pour la première fois, je sus ce qu'aimer signifiait. J'avais trouvé mon maître.

8 Août 2016   12.30 Heures


To Werner,
Cause I love you

For you


Marilyn




24 Août 2016 Vue aérienne de Bordeaux asséchée par la canicule

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